Tourisme, Culture & numérique : les start-up imposent une vision client

 

Le numérique et ses start-up vont bouleverser les rapports du Tourisme et de la Culture.

Le 16 décembre dernier le Ministère de la Culture organisait « les Rencontres du Tourisme Culturel » au Centre Pompidou. L’occasion de faire le point sur les rapports entre Culture et Tourisme.

Les professionnels du Tourisme, ceux de la Culture le savent bien les relations entre les deux secteurs sont difficiles, les incompréhensions anciennes et nombreuses.

Tourisme & Culture : un vieil antagonisme

Permettez-moi une anecdote personnelle. Au début des années 2000, jeune conseiller technique auprès de la Ministre du Tourisme, j’hérite du dossier « tourisme et culture ». A l’occasion du changement de ministre de la Culture, je suis envoyé rencontrer son conseiller spécial dans l’impressionnante rue de Valois avec la mission de « réactiver « l’application de la convention culture-tourisme signé par la ministre précédente.

Je suis reçu par un homme expérimenté, connu et reconnu dans la Culture, je commence à lui exposer le contenu de la convention. Rapidement je prends conscience que l’échange tourne au monologue. J’explique le contenu de ladite convention. Je finis mon propos, mon interlocuteur impressionnant de sérénité et de calme n’a toujours pas prononcé un mot, se lève me tend la main la et déclare « le tourisme a détruit le Mont Saint-Michel, allez au revoir jeune homme ».

Bien entendu, l’antagonisme entre culture & tourisme se réduit. Et les exemples sont nombreux de réussites communes. De création de musées, de festivals, de réhabilitation de monument qui ont relancé l’attractivité touristique d’un territoire ou à l’inverse de politique et d’investissements touristiques qui ont redonné vie à des équipements culturels.

Terrain & salons parisiens

On se doit de citer Le Voyage à Nantes où les services culturels et l’office de Tourisme ne font qu’un au profit d’une ville redevenue dynamique et attractive ; on pense aux festivals de Marciac ou plus récemment de Brive la Gaillarde qui là aussi font corps avec la destination. Nous avons tous en tête Lille 3000 ou l’extraordinaire émergence de Lyon avec une offre culturelle (de la gastronomie jusqu’au nouveau musée des Confluences en passant par les festivals et la fête des Lumières) d’une grande richesse qui se nourrit et nourrit la brillante stratégie marketing Only Lyon. On pense même aux travaux du Mont-Michel  qui permettent tant préservation patrimoniale et qu’exploitation touristique.

En un mot, sur le terrain, loin des salons parisiens, les choses ont bougé.

Pour autant le clivage résiste. On aurait, comme le décrit Evelyne Lehalle (Tourisme et musées : Kit de survie) d’un côté, celui du Tourisme, les mots du côté obscur : client, marché, marge, flux, privé, distribution, taux d’occupation, marge (oh le gros mot !) et de l’autre, celui de la Culture : conservation, transmission, éducation, public, citoyenneté, etc.

La culture a, certes, commencé à se résoudre à considérer le tourisme avec la baisse des subventions publique et l’obligation d’augmenter les recettes. Bien sûr, la Culture et son ministère ont fourni ces 20 dernières années un remarquable travail vers les « publics ». Souvent ces efforts sont portés vers des publics ciblés (jeunes, scolaire, « empêchés », etc.)  et toujours des publics de proximité, bien rarement les touristes.

De son côté le tourisme ne s’intéresserait qu’aux « blockbusters » culturels … avide de marges et profits.

Si cette vision est caricaturale elle n’est pas infondée. Et la bonne volonté ne suffit pas toujours à créer les synergies pourtant évidentes.

Je me souviens avoir essayé avec un transporteur volontariste à créer des packages transport + billet d’entrée à une grande exposition parisienne. La grande institution culturelle m’a alors expliqué qu’il lui était plus facile de faire de la gratuité qu’un tarif spécifique pour un package…

Bien entendu, les grandes institutions fortement fréquentées (Louvre, Versailles, etc.) ont appris depuis longtemps à travailler avec les tours opérateurs, plus récemment avec les transporteurs et pas encore avec les nouveaux acteurs forts : les distributeurs en ligne du transport ou de l’hébergement.

Bien sûr, Tourisme et Culture s’opposent car les professionnels ne sont pas les mêmes car les formations ne sont pas les mêmes ; les opérations communes sont complexes car les lignes budgétaires ne sont pas les mêmes ; les gouvernances répondent à des logiques différentes.

Mais ma conviction profonde reste que l’opposition n’est pas tant entre tourisme et culture ni même entre public et privé qu’entre ceux qui prennent en compte les visiteurs ou pas.

La vraie fracture : prendre le visiteur en compte ou pas

La ligne de fracture n’est pas entre Tourisme et Culture mais entre ceux qui ne voient que l’offre et ceux qui ne considèrent que la demande, et ils sont des deux côtés.

Les problématiques des directions des publics des établissements culturels sont les mêmes que celles des professionnels du tourisme : tarification, dématérialisation, distribution, communication, vente, accueil, satisfaction, fidélisation autant d‘étapes clefs de plus en plus digitales. Avec la transformation digitale les défis sont renouvelés, les opportunités également.

A quand la création de véritables direction marketing (avec les directions des publics et la direction de la communication) dans les institutions culturelles ? Quand ces directions qui connaissent les publics, leurs comportements seront-elles un tant soit peu associées à la programmation de leurs établissements, bien souvent seul fait du prince ?

Et le client, le visiteur …euh pardon le public dans tout ça ?

Et pour tout dire, je pense même que le tourisme culturel n’existe pas. Avez-vous déjà entendu quelqu’un dire « ce week-end je fais du tourisme culturel » ?

L’invention de l’expression Tourisme culturel révèle à quel point la culture n’est à l’aise avec le tourisme. J’ai même assisté à des colloques parisiens, ou tout le génie de l’entre soi culturel s’exprime, à des tables rondes dont l’objet était de se demander ce qui est du tourisme culturel ou non ? sur la plage avec un livre et entouré de locaux : tourisme culturel – le bien. Sur la plage avec la glacière et la smala : le tourisme de masse, le bronzer idiot – le mal. On se demande quel comportement est un acte culturel ?

Quel mépris ! quelle ignorance des comportements touristiques !

Heureusement lors des « Rencontres Tourisme Culturel » Philippe BELAVAL, président des Monuments nationaux a affirmé avec force « Tout tourisme est éminemment culturel ».

Partir en voyage est le premier pas vers la découverte vers l’autre. Le temps des vacances est un temps de sur-consommation culturelle.

Oui, le tourisme culturel n’existe pas. Tout tourisme est profondément culturel, et surtout ne confondons pas « tourisme culturel et tourisme dans les lieux culturels ». Merci Philippe BELAVAL d’avoir porté ce discours en plein Paris au milieu des vôtres (les gens de culture) !

Je crois, pour ma part que les frontières vont s’estomper tout simplement parce qu’elles n’existent pas dans le comportement, l’esprit des clients – visiteurs. Quand on est en vacances à Londres, on ne dit pas « à la TATE, tiens je suis en train de faire du tourisme culturel » puis chez Top Shop « tiens je suis en train de faire du tourisme de shopping » et puis au London Eye « tiens je fais du tourisme de masse crétin » et le soir de la même journée en buvant des bières avec des amis londoniens « tiens je fais du tourisme autrement pas comme les touristes de masse, parce que je connais ! »

A force de clichés, on ne veut pas voir les évolutions : les japonais voyagent désormais plus en Europe en individuel qu’en groupe et même les jeunes chinois choisissent désormais de voyager seuls.

Le tourisme de masse n’est même pas un tourisme de groupe. Tourisme de masse que je suggère de remplacer par tourisme de volume tant l’expression porte le mépris de ceux qui pourtant voyagent aux quatre coins du monde sans jamais se considérer comme des touristes !

Ces questions sont obsolètes car le client ne se les pose pas

Mais au final, on le sait, avec la puissance et la rapidité de la transformation numérique de la consommation touristique et culturelle, « le visiteur a pris le pouvoir ». D’un marketing de l’offre on passe à un marketing de la demande.

Dit autrement, les frontières entre culture et tourisme vont exploser avec la transformation numérique et le pouvoir qu’elle donne au client-visiteur.

Les innovations portées par les jeunes entreprises et start-up sont porteuses de cette convergence parce qu’elles proposent des produits qui considèrent d’abord le besoin du client. Sur ce sujet voir l’article « Tourisme & digital : voyage au cœur des tendances ».

Certaines ont pensé Culture d’abord, comme le secteur d’application de leur produit et glissent très naturellement vers le tourisme d’autres au contraire ont pensé Tourisme et glisse naturellement vers la culture sans se poser ces questions finalement restreintes aux cercles professionnels.

La transformation numérique va effacer la frontière entre Culture & Tourisme

Artips, « une dose d’art au quotidien » avec son savoir-faire en matière de storytelling a bien capté la tendance du picorage , des « micro-moments » et préfigure déjà les comportements digitaux de demain : on ne cherche plus sur le web (le SEO est mort !) mais on veut que l’information pertinente nous parvienne au bon moment quel que soit le support et le device.

Artips a d’abord construit un impressionnant succès en travaillant avec un très grand nombre de musées, de monuments, d’événements culturels. Constatant des résultats extrêmement significatifs (lié au savoir-faire du storytelling, à la maîtrise de la communication digitale et la qualité du ciblage) tant sur la communication (taux d’ouverture, de clic, d’engagement) que sur l’activité même de l’équipement culturel (fréquentation sur le site web mais aussi vente de billets et fréquentation physique), Artips s’oriente très naturellement vers une notion de destination.

Amélie de Ronseray, Associée d’Artips explique « l’offre culturelle est au cœur de l’identité et de l’attractivité d’une destination, c’est pourquoi nous travaillons avec des villes, des territoires à susciter de la fréquentation touristique en mettant au service des offices de Tourisme notre savoir-faire en storytelling et marketing digital ».

En travaillant à la valorisation du patrimoine, de l’actualité culturelle d’une destination, ARTIPS est en passe de devenir un outil de promotion des destinations françaises vers un public avide de sens, de contenus et de propositions de qualité. Le mode de communication digitale, histoire courte, utilisation des réseaux sociaux, ciblage, un ensemble de propositions qui devraient séduire de plus en plus de destinations.

Culture & Tourisme : la distribution est la même

Ceetiz, n’est plus vraiment une start-up mais le seul distributeur digital d’activités touristiques français crédible au niveau mondial.

Et Ceetiz fait le chemin inverse : de la distribution des activités classées habituellement « tourisme » (tiens au fait une croisière commentée sur la seine c’est une activité touristique ou culturelle ?) s’oriente désormais aussi vers les loisirs et la culture. Pourquoi ? tout simplement parce que ses clients français comme internationaux ne font pas cette différence et demandent ces « produits ». Ceetiz prépare donc un élargissement de son catalogue particulièrement sur les activités de loisirs et de culture dans les destinations françaises. Les freins sont techniques liés au mode de gestion : la digitalisation et la dématérialisation est au cœur du sujet.

Eric Blanc PDG de Ceetiz nous livre un plaidoyer et nous alerte sur la menace d’un « booking des activités » : « Nous travaillons avec toujours plus d’opérateurs français, ainsi qu’avec les grandes destinations françaises, à la valorisation d’expériences qui doivent permettre de disposer d’une puissance digitale française à même de distribuer l’offre France dans le monde entier. Comme partout dans le monde, le ticketing de la culture en France doit se dématérialiser et répondre aux nouveaux comportements en matière de réservation. Les acteurs français doivent se concerter sur cet objectif et la culture en France doit aussi s’inscrire dans cette nouvelle ambition digitale. Si nous ne réussissons pas, ensemble, à nous doter rapidement de cet outil de commercialisation digitale de la culture française, cette dernière sera à terme soumise aux conditions imposées par les seules plateformes américaines, au même titre que l’hébergement. »

Revenons à notre visiteur. Une fois sur place, le touriste ne veut plus simplement visiter ou découvrir mais vivre des expériences dont il va se souvenir et qu’il va partager quasi en direct.

La visite augmentée va s’imposer à tous

Les innovations en matière de visite, parce qu’elles partent du besoin du visiteur ne segmentent pas culture et tourisme.  Les seules applications vraiment téléchargées et utilisées le sont autant dans notre vie quotidienne (quand on est habitant) que pendant nos voyages (quand on est touriste) : c’est le cas de Tripadvisor ou de Citymapper.

Une innovation de visite qui répond à un besoin, un comportement du visiteur va rencontrer son marché aussi bien dans la culture que le tourisme.

C’est le cas de TIMESCOPE récent vainqueur du SITEM 2017 (Salon International des Musées des lieux de culture et de tourisme).

Timescope a mis au point la première borne de réalité virtuelle en libre-service. La borne Timescope fonctionne comme une machine à voyager dans le temps : l’utilisateur sélectionne une époque et entame une expérience immersive 360°. L’expérience immersive permet ainsi de vivre in situ l’histoire de ce lieu (le passé), d’accéder à des interprétations du paysage de façon ludique (présent) et de se plonger dans l’avenir d’un lieu après des travaux d’aménagement, par exemple (futur).

Timescope permet de rendre visible et accessible à tous ce qui ne l’est plus ou ce qui ne l’est pas encore.

La force d’un tel dispositif est bien le libre-service qui lève les obstacles de téléchargement, de location de casques ou de lunettes, autant de freins pour atteindre le visiteur. Comme le dit David Nahon « Timescope met la réalité virtuelle à la portée du passant ».

Avec, dans certains cas, des contenus culturels élaborés sous l’égide de scientifiques. Le Timescope de Bastille propose par exemple aux passants de s’immerger dans le même lieu en 1789 et 1416. On est bien dans un dispositif culturel et touristique !

Les clients de Timescope sont autant des acteurs privés que publics, des secteurs de la culture (musées, monuments) des loisirs (parc d’attraction, cinéma) que du tourisme (Villes, sites touristiques, sites panoramiques) et même des transports (aéroports, gares, etc.). Tous ont la même préoccupation : offrir à leurs clients une expérience ludique et porteuse de sens qui va enrichir leur visite, leur passage, dont ils vont se souvenir et qu’ils vont partager.

Il n’est pas étonnant que les premiers à s’engager avec TIMESCOPE soient des villes, des destinations où culture et tourisme sont indissociables et très fortement présents dans leur ADN.

 Connaitre le client, le fidéliser : une cause commune

Après la visite, la culture et le tourisme partagent la préoccupation de la fidélisation.

Comme Timescope, GuestViews réinvente un objet ancien (les jumelles touristiques traditionnelles pour Timescope, le livre d’or pour Guestviews) et mise sur le libre-service. Et surtout GuestViews a bien compris que le client a pris le pouvoir !

GuestViews est le livre d’or numérique qui permet la collecte, l’analyse et la valorisation des données visiteurs. C’est pour les visiteurs une expérience ludique, interactive et d’expression, pour les gestionnaires un outil de gestion de la relation client et de la fidélisation.

Comme Artips, GuestViews a commencé par les musées et commence à élargir son champ d’action vers les marques et le Tourisme.

Camille Caubrière, co-fondatrice, nous explique : « Nous proposons une solution qui permet aux visiteurs de s’exprimer à chaud après leur visite, et au musée de connaître en temps réel leur retour d’expérience, qualitatif (verbatims) et quantitatif (satisfaction et questionnaire) »

Le début d’une prise en compte des publics dans l’élaboration de l’offre culturelle et touristique ?

Alizée Doumerc, co-fondatrice, ajoute « Nous avons équipé et accompagné 50 musées (France, Belgique et Suisse) et travaillons aussi avec des marques. Nous sommes également sollicités par des destinations touristiques qui cherchent à améliorer la connaissance sur leurs visiteurs, pour nourrir leurs outils GRC et améliorer leurs stratégies de fidélisation »

Dépasser les clivages, penser client ou être dépassés

La transformation numérique ne fait que commencer, les bouleversements imposés par les nouveaux usages vont s’amplifier.

C’est bien la destination qui réunit l’ensemble des acteurs, privés, publics, transporteurs, hébergeurs, office de tourisme, établissement de loisirs, de culture, etc.

Il s’agit donc désormais de dépasser ce vieux clivage entre Culture et Tourisme, de se retrouver autour de la notion de destination.  Et de prendre en compte en compte la transformation numérique de toutes les étapes nécessaires pour faire venir un touriste dans une destination, pour le faire entrer dans un musée : la communication, la distribution, la visite même et la fidélisation sont en voie rapide de transformation ! (sur la transformation digitale de la chaîne du voyage voir « Tourisme : les tendances 2016-2017 »)

L’ensemble des acteurs n’ont pas le choix, ils doivent placer le client au cœur de leur stratégie, intégrer les clients à l’élaboration de leur offre. Et pour cela, utiliser les innovations, travailler avec les jeunes entreprises qui ont saisi les besoins des visiteurs et leurs nouveaux usages est une voie bien prometteuse.

NICOLAS BARRET

Article publié sur Etourisme.info le 18 janvier 2017.

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